[NMUN-New York : chronique du jour 1]

Par Dave Anctil, professeur de philosophie
Manhattan. Times square. Le 30 mars 2015.

Perdu dans le bruit égrené des klaxons, la caresse des mains sur le clavier…

Notre collège en est déjà à sa quatrième participation au National Model United Nations à New York (NMUN-New York). Bien dirigées par trois déléguées en chef talentueuses (Justice Leblanc en 2012-2013, Laurianne Walker-Hanley et Catherine Labasi-Sammartino en 2014), nos précédentes délégations se sont toutes démarquées à leur manière. Attitude positive, préparation sérieuse et charisme manifeste ont permis à Brébeuf de se tailler une place enviable au sein de cette vénérable institution internationale.

Le temps où nous cessons d’être débutants

NMUN-Brébeuf n’est plus le petit programme parascolaire un brin marginal de ses débuts. Soixante étudiants ont représenté le collège depuis 2012; plus de soixante-dix étudiants se sont présentés aux sélections à l’automne 2014; nos formateurs sont devenus d’habiles passeurs d’expérience et ils nous permettront, année après année, de constituer des équipes toujours plus préparées et talentueuses.

Depuis septembre dernier, Éloïse Noiseux, Elitsa Papazova et moi-même assurons la continuité de cette aventure. Avec l’appui de nos vétérans et de nos anciens, nous avons organisé SIMEURO-Brébeuf pour la deuxième année consécutive; ensuite l’équipe s’est soudée dans l’adversité en participant à quatre autres simulations au Québec et en Ontario.

Voici venu le test annuel : la simulation de New York. Les efforts investis depuis quatre ans ont porté fruit. Restreint, par le passé, à représenter de petits pays des Balkans pour faire nos classes au sein de la grande communauté NMUN-New York, cette année notre collège représentera un pays d’envergure dont la politique est aussi complexe que fascinante.

La Thaïlande constitue, en effet, un beau défi. Déchirée entre deux élites de pouvoir rivales, elle a connu dix-huit tentatives de coups d’État depuis 1932 (douze ont réussi). Le dernier putsch remonte au 22 mai 2014, deux jours après la proclamation de la loi martiale par le commandant en chef de l’armée, le général Prayuth Chan-ocha. Sa dictature modérée est appuyée par la monarchie qui craint depuis quinze ans la montée du Thai Rak Thai, un parti populiste dirigé par la caste oligarchique régionale du nord, et qui possédait encore, l’année dernière, une majorité parlementaire l’autorisant constitutionnellement à gouverner le pays…

L’épicentre de l’actuel pouvoir militaire et traditionaliste se trouve à Bangkok, la capitale du pays. Le régime thaï que nous représentons conjugue donc militarisme, monarchisme, capitalisme et démocratise dans un mélange épicé à saveur thaï! Au plan diplomatique, les deux alliés économiques et politiques de la Thaïlande, la Chine et le Japon, sont aussi les grands rivaux de l’Asie de l’Est.

Ces pays dominants de l’économie mondiale sont aussi des incontournables dans le fonctionnement de l’ONU. Pour nos délégués, la marge de manoeuvre diplomatique de la Thaïlande offre des opportunités inédites de travailler plus étroitement avec les pays dominants du système international. Nos étudiants pourront donc faire l’expérience d’une praxis diplomatique nouvelle et plus audacieuse; j’en livrerai bientôt les secrets…

L’ouverture à demain

Chaque année, la cérémonie d’ouverture constitue l’acte premier de la prestigieuse simulation mondiale à New York. C’est le moment solennel où les milliers de délégués en provenance de tous les continents se réunissent pour prendre le pouls de l’événement NMUN. C’est aussi l’occasion d’entendre les organisateurs, composés d’anciens délégués chevronnés, nous instruire sur l’organisation et le fonctionnement de la plus grande simulation diplomatique au monde. Enfin, c’est aussi le moment d’entendre un diplomate chevronné nous instruire de son expérience…

Cette année, c’est Luis Moreno-Ocampo qui est venu livrer ses confidences. Juriste argentin et premier procureur de la Cour pénale internationale (il occupa ses fonctions à la CPI de 2003 à 2012), Moreno-Ocampo n’a pourtant jamais été diplomate ni employé de l’ONU. Cependant, il fut un pilier de la justice internationale et donc un allié précieux des diplomates qui tentent de négocier des solutions durables aux conflits internationaux en s’appuyant sur le droit international.

À ce titre, Moreno-Ocampo avait un message optimiste à livrer aux délégués. Les politiciens et les chefs d’État traditionnels, nous a-t-il dit, ont l’habitude de se dire « réalistes » et donc de qualifier de « pragmatiques » des actions que d’autres qualifieraient de « cyniques ». Ainsi en va-t-il des institutions judiciaires et diplomatiques internationales, qui sont souvent marginalisées, voire méprisées ouvertement par ces mêmes politiciens. Pensons aux États-Unis, seul pays occidental refusant toujours de ratifier le statut de Rome, qui emploie toujours sa force et son influence à l’international pour décourager les petits pays de ratifier le traité instituant la CPI.

Pourtant, le réel est plus rationnel que les politiciens ne le pensent…

La réalité politique a beaucoup changé depuis la création de l’ONU. Aujourd’hui, 193 États sont des membres reconnus de l’ONU; le monde est aussi géré et organisé par des millions d’ONG. Les politiciens doivent réaliser qu’aucun État ne sera plus jamais assez puissant pour contrôler le système international au XXIe siècle. Le monde de la raison d’État est bel et bien mort et enterré. Les pays qui veulent influer sur l’évolution du monde d’aujourd’hui doivent prendre leur place à travers les institutions de la coopération mondiale. Ils doivent coopérer de bonne foi.

La CPI, par exemple, constituait encore une fiction idéaliste kantienne il y a vingt ans à peine. L’idée même qu’une instance pénale supranationale puisse, en vertu du droit humanitaire, entamer des procédures contre des criminels de guerre était tout simplement impensable pour la génération politique d’hier.

Jusqu’ici, la CPI n’a pu juger que des seigneurs de guerre africains. Mais son avenir est prometteur. Car le travail accompli par Moreno-Ocampo à la CPI était, au final, plus diplomatique que judiciaire. Sa mission : habituer les États à vivre avec la réalité relativement nouvelle du droit international. Leur faire comprendre que si le système westphalien était une bonne idée en 1648, l’ère des Léviathans touche (enfin) à sa fin. La réalité de l’interdépendance mondiale et la complexité de sa gouvernance s’incarnent, aujourd’hui, dans les organes et instances de l’ONU.

C’est aussi au sein de l’ONU que nous préparons un avenir encore incertain pour l’humanité. Les Moreno-Ocampo de ce monde tentent d’éveiller la vieille garde du pouvoir à la réalité du présent. Et c’est à nos jeunes d’inventer la nouvelle politique de demain.

Ma mission, depuis quatre ans déjà, est de leur donner l’occasion de tout recommencer.

Dave Anctil, professeur de philosophie