[NMUN-New York : chronique du jour 2]

Au gré des vents et marées, son pays sombre doucement dans un océan ascendant, impuissant face au réchauffement climatique anthropogénique.

Son territoire est régulièrement violé par les navires-usines étrangers qui y braconnent la biomasse marine. Un chalutage de fond qui se pratique à l’aide d’immenses filets d’acier, privant les habitants des petits États insulaires en développement (PEID ou SIDS, pour Small Island Developing States) de leur source principale de protéine. Un braconnage illégal et immoral, commis en toute impunité par des flottes de chalutiers asiatiques et européens. Leurs terribles destructions, étalées sur des millions de kilomètres carrés de fonds marins, ont dégradé massivement les structures biogéologiques complexes permettant à la vie marine d’exister. Cette vie en eau profonde – l’origine de toute vie sur terre! – qui met des milliers d’années à former les écosystèmes adaptés aux espèces benthiques.

Pour son peuple et pour les 51 autres petits États océaniques, ces dommages seront irréversibles. Spectateurs impuissants de la catastrophe climatique, les PEID doivent désormais se battre pour nourrir leurs populations contre l’appétit instatiable des Gargantuas de l’industrie alimentaire. Certes, ils tenteront de protéger ce qui reste, du moins jusqu’à l’inévitable Grande déportation…

Contre les vents et marées de la croissance économique, c’est le témoignage à la fois touchant et lucide qu’est venu livrer l’amabassadeur-itinérant de la république des Seychelles, Ronald Jumeau, devant l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le comité de notre Benjamin Herrera.

Les conférenciers invités sont une rareté dans les comités de NMUN. M. Jumeau est venu témoigner devant la prochaine génération d’acteurs politiques pour leur faire prendre conscience des enjeux auxquels doivent faire face les petits pays insulaires comme les Seychelles, un archipel de 116 îles situé dans l’océan indien, à l’est de l’Afrique.

M. Jumeau est le seul porte-parole à l’international d’une population pauvre d’à peine 90 000 habitants. Pour les Seychelles et ses cousins des PEID, il est devenu impératif de communiquer l’urgence de la situation sur toutes les tribunes disponibles. Face à l’indifférence conjugée des masses et des élites, les petits pays insulaires sont devenus, bien malgré eux, les derniers vigiles de la mer.

Bien sûr, l’exploitation responsable des habitats océaniques est devenu un leitmotiv des conférences internationales. Selon l’ONU, le poisson fournit à lui seul 16% des protéines consommées par l’humanité. Cependant, la pêche comme moyen de soulager la faim n’est plus le principal objet des convoitises; l’appétit bien plus vorace pour les ressources en énergies fossiles dans les océans constitue le nouvel enjeu planétaire. Car les sous-sols marins contiennent les dernières réserves massives de pétrole et de gaz. Elles sont cependant difficiles et dangereuses à exploiter; les accidents y sont fréquents et destructeurs des écosystèmes océaniques déclinants. Mentionnons également que les eaux internationales renferment les réserves les plus importantes d’uranium, sources de jalousies constantes de la part des puissances nucléaires…

Revenir sur terre

Avec une économie mondiale toujours dominée (sur le modèle irresponsable du Canada) par l’exploitation des ressources énergétiques non-renouvelables, l’humanité doit aujourd’hui faire face à la crise alimentaire mondiale. Les changements climatiques, les méthodes agricoles industrielles écocides, dépendantes d’une consommation excessive en pétrole et en eau potable, le déclin, enfin, des ressources océaniques : partout, les problèmes environnementaux se conjuguent pour dessiner un même portrait alarmant, soit celui d’une humanité croissante disposant de conditions vitales décroissantes.

À NMUN, la Thaïlande, appuyée par d’autres pays comme la France et la Hongrie, a décidé de sortir des sentiers battus pour donner du poids à une idée ingénieuse pour affronter la crise alimentaire : la production agricole de protéines à grande échelle à partir de l’élevage d’insectes.

Scientifiquement parlant, les insectes d’élevage constituent une alternative idéale pour soulager la faim mondiale tout en diminuant massivement la consommation d’eau en agriculture. L’élevage d’insectes nécessite très peu d’eau et ne produit presqu’aucune pollution; leur chair est résistante aux maladies et très riche en protéine. L’entomophagie, pratiquée de manière artisanale dans de nombreux pays en développement, paraîtra dégoûtante aux consommateurs des pays riches. Notre alimentation fut reprogrammée il y a longtemps par l’industrie agro-alimentaire; elle n’a plus rien à voir avec notre terroir et nos ressources locales et naturelles.

Mais pour espérer nourrir une population croissante avec une production agricole déclinante, le modèle alimentaire des pays riches constitue le pire modèle; c’est pourtant celui qu’empruntent trop de pays émergents qui sortent à peine de la pauvreté.

Non, la paysannerie nourricière des coins les plus pauvres de la planète doit plutôt s’adapter et emprunter un tournant : abandonner l’animalerie d’élevage (déjà insoutenable dans plusieurs régions arides du monde) pour développer rapidement l’offre de l’entomophagie.

Seule l’ONU possède les ressources et l’influence pour encourager cette perspective d’avenir, spécialement dans les communautés rurales pauvres de la planète. Benjamin m’a bien expliqué que pour gagner les appuis suffisants afin d’obtenir une résolution dans ce sens au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, la Thaïlande doit ébranler les idées reçues et surmonter les préjugés.

Je me croise les doigts pour que son discours rassembleur et son travail infatiguable auprès des délégations de son comité portent ses fruits au moment du vote…

Contre vents et marées, pour nourrir une humanité de plus en plus famélique habitant un environnement fatalement dégradé, il faudra, comme un jour les peuples insulaires, revenir sur terre.

Dave Anctil, professeur de philosophie