[NMUN-New York : chronique du jour 3]

« They’re the cell phone generation. True, they don’t experience the inhibitions I felt in my time when I had to deal with hundreds of strangers in the big city. But they don’t know how to write either! » C’est ce que me confiait un professeur, ancien délégué NMUN il y a quinze ans, lorsque je lui demandais s’il avait constaté des changements significatifs, au cours des dernières années, dans les aptitudes des jeunes diplomates qui participent à l’événement.

Je suis moi-même fasciné par l’aisance avec laquelle les étudiants, en provenance de tous les pays du monde, socialisent entre eux. En quelques secondes, les formalités sont vite abandonnées pour faire place à une complicité immédiate, certes plus pragmatique que sincère.

C’est un fait quasi universel : les règles de la gradation traditionnelle de la proximité sont devenues un archaïsme. La socialisation en ligne, pratiquée de manière constante via les réseaux sociaux (avec toute la sottise qu’elle peut impliquer…), crée un climat général de familiarité qui aurait été, autrefois, impossible. Il sera donc intéressant de constater comment cette génération montante transformera les règles du décorum en diplomatie.

Par contre, les aptitudes d’écriture semblent, en effet, avoir décliné. C’est du moins ce que remarquaient mes collègues « faculty advisors » lors de ma première expérience à NMUN en 2013; le même constat a aussi été formulé l’année dernière par les présidences de comités (qui ont notamment pour tâche d’améliorer la facture et le contenu des propositions rédigées par les délégués).

Les jeunes délégués parlent. Ils parlent même beaucoup, même en écrivant… Mais savent-ils le véritable pouvoir des mots ?

Une équipe exemplaire

Est-ce que les heures passées en « modes alternatifs » d’écriture sur les réseaux sociaux affectent négativement les capacités rédactionnelles de nos étudiants ? Je ne saurais le dire sans tomber dans un discours conservateur idéalisant un passé probablement fictif… Mais je suis plutôt fier de constater que la délégation de Brébeuf se débrouille aussi bien en rédaction qu’à l’oral !

Le travail d’écriture est un aspect souvent négligé de la diplomatie. Pourtant, celle-ci repose entièrement sur le pouvoir des mots. En diplomatie comme ailleurs, savoir bien rédiger est aussi crucial que la maîtrise de l’art oratoire. C’est pourquoi l’équipe NUMUN-Brébeuf insiste autant sur cet aspect fondamental de la préparation de notre délégation. Comme le remarquaient hier soir Ghassen et Éloïse en séance de débriefing, maitriser l’écriture fournit des atouts indéniables : augmenter la confiance en ses propres idées pour les rendre plus attractives, prendre plus de place au sein d’un groupe et jouir de plus de latitude et de contrôle dans le processus collaboratif avec les autres délégués.

Le savoir écrire n’est donc pas l’antithèse du savoir-parler. Le pouvoir des mots est protéiforme; l’habile délégué voudra connaître ce grand Livre des transformations.

Notre délégation vient justement de traverser avec virtuosité l’épreuve du « Meltdown Tuesday » : le moment critique où tous les délégués remettent leurs documents de travail (working papers) après douze heures de négociations (formelles et informelles) dans leur comité respectif.

Je puis témoigner que malgré toute leur bonne volonté et leur fortitude admirable, la fatigue s’était invitée sur les visages de nos étudiants !

Aujourd’hui mercredi, tous ces efforts diplomatiques doivent absolument se concrétiser en un nombre de « sponsors » suffisant pour constituer des résolutions rassembleuses, capables de traverser l’épreuve ultime du vote.

Au terme de l’exercice, la plupart des documents de travail seront fusionnés, de gré ou de force. (À NMUN, vous pouvez entendre cent fois l’heure les mots « merge » et « merging »…) Afin d’élaborer un consensus viable, les idées originales, longuement documentées, débattues et négociées avec des dizaines de collègues, s’incarneront finalement dans un format plus ou moins dilué.

Collaboration, finesse et effacement : voilà encore des mots essentiels dans l’art du pouvoir diplomatique !

Peu importe l’issue (encore imprévisible) de leur labeur, tous les membres de la délégation de la Thaïlande ont témoigné d’un engagement exemplaire. J’ai parcouru tous les comités et j’ai pu observer à quel point mon équipe fournissait un effort constant, démontrant ainsi une discipline exemplaire. Dans ma prochaine chronique, je serai en mesure de détailler un peu leurs prouesses.

L’art d’unifier est lexical

Les grands négociateurs furent souvent d’habiles écrivains. C’était aussi vrai de Talleyrand que de Kissinger.

L’art de négocier n’est pas, en effet, un talent inné. C’est une faculté multidimensionnelle qui est d’abord acquise à travers la maîtrise du langage. Tel le poète qui, faisant de la grammaire une seconde nature, peut jouir pleinement de la licence des mots, la maîtrise du langage ouvre tout l’espace de liberté nécessaire au jeu diplomatique. Au final, celui-ci sera toujours un jeu de langage que les historiens – toujours un peu dupes des mots – se déchireront à interpréter pour la postérité.

Certes, le diplomate doit aussi savoir calculer les intérêts; il doit connaître ses dossiers par coeur; il doit comprendre également les variables psychologiques indispensables à son succès… Mais dans toutes ses manoeuvres – pour argumenter, expliquer, justifier et convaincre –, le diplomate aura toujours besoin du pouvoir des mots, ses seuls véritables amis.

La rhétorique fut, de tout temps, la formation élémentaire du diplomate : rédiger et prononcer des discours. Les professeurs de rhétorique de la Renaissance affirmaient qu’il fallait maîtriser le langage au point de se convaincre soi-même. Le diplomate doit vivre et effleurer cette perte de soi dans l’acte communicationnel.

Bien avant les développements scientifiques sophistiqués apportés par la théorie des jeux, l’économie comportementale et la psychologie cognitive, les diplomates de carrière savaient tout le pouvoir des mots. En effet, tous les ponts qui font passer du rivage de la compétition à celui de la coopération sont fabriqués avec des mots.

Dave Anctil, professeur de philosophie